Une jeunesse allemande

 

L’histoire de la Fraction Armée Rouge, depuis sa création et ses premières actions terroristes jusqu’à la mort de ses membres dans les prisons allemandes, racontée uniquement à partir d’archives de l’époque.

 

Ton besoin de faire ce film est-il né d’une certaine conjoncture politique, de l’actualité ?

L’origine du projet se situe plus dans ces questions : Quel est le rôle du cinéma ? Qu’est-ce que l’engagement ? Qu’est-ce que le terrorisme ? Quelles sont les réponses au terrorisme ? Je me les suis posées il y a dix ans, elles étaient valables alors, elles le sont toujours aujourd’hui. Je pouvais ainsi questionner ce qui se passe aujourd’hui en m’intéressant à l’histoire de la RAF. La question du cinéma, de l’art en général, sera également toujours là. Sur ce point, on peut cependant relever un changement d’époque. Personnellement, et contrairement à certains fondateurs de la RAF et de beaucoup de cinéastes des années 60 et 70, je ne crois pas que le cinéma change quoi que ce soit, et cette vision un pessimiste se retrouve dans le film. Si je n’ai pas choisi leur histoire par hasard, c’est principalement sur ce point : leur échec à fabriquer à cinéma qui changerait le monde.

 

Pourquoi la Fraction Armée Rouge ?

Je fais les films que j’ai besoin de faire, qui m’obligent à travailler. Quand je décide de faire un film sur la Fraction Armée Rouge (RAF), je veux voir et lire tout ce qui a été fait sur la RAF, comme pour une thèse. C’est pareil pour tous mes films : il n’y a pas de commentaire mais je sais d’où viennent toutes les images, qui les a produites. Il y a tout un savoir accumulé qui n’est pas clairement donné dans le film mais qui l’emplit.

Tout mon travail est motivé par la question de la violence. Qui, même si elle peut pourrait apparaître naïve au premier abord, est pour moi une question avant tout politique. A un moment, je me suis rendu compte que je n’interrogeai que les violences sur lesquelles je pouvais me positionner facilement (il est moralement confortable d’être « contre la guerre », « contre le racisme », « contre le sexisme »…) Il m’était en effet beaucoup plus compliqué de réfléchir, et surtout de condamner a priori, les violences émises par mon propre camp. On ne fait pas en effet de révolution et on ne lutte pas contre l’oppression sans violence.

Pour ne pas m’enfoncer dans cette bonne conscience morale, je me suis interrogé sur la violence des années 60-70 à travers le monde, et notamment sur l’Armée Rouge japonaise, l’Armée Rouge allemande et les Brigades Rouges. J’arrivais à comprendre cette époque : je partage les lectures et les idées de ceux qui la vivait. Je me demandais comment ces militants issus de milieux petit bourgeois avait pu décider de passer à la lutte armée.

Puis j’ai découvert qu’Ulrike Meinhof était journaliste et que Holger Meins était cinéaste et c’est devenu le début d’un film possible. Il fallait que je voie leurs images. Quels films avaient-ils pu fabriquer ? En tant que cinéaste plutôt politique, leur production m’interrogeait.

 

Comment as-tu défini l’équilibre entre les différentes sources (films, télévision) ?

Dans un film d’archives, on fait avec les images que l’on retrouve, mais on fait aussi avec les lacunes. Il n’existe par exemple aucune archive nous renseignant sur la décision des fondateur de la RAF de passer à l’action. À ce moment-là, ils abandonnent les moyens d’expression qu’ils utilisaient auparavant.

À l‘écriture, j’avais décidé cet effet entonnoir, qui d’un début très riche se resserre progressivement, et de la rupture aux deux tiers du film où je n’utilise plus que les images de la télévision. Cependant des variations arrivent lorsque l’on trouve les images. Par exemple quand je retrouve coup sur coup trois interviews télévisées de Meinhof datant d’un ou deux mois avant qu’elle passe à l’action armée, interviews dans lesquels elle paraît très atteinte, quelque chose de singulier se joue dans son physique et dans sa voix qui bouleverse l’histoire que je voulais a priori raconter. Il y a le poids de l’émotion que contiennent les images et qu’aucune écriture ne peut vraiment prévoir.

 

Quelle importance avaient pour toi les extraits des films d’Antonioni, Fassbinder et Godard ?

Je voulais montrer que la question de la violence était très présente dans la société à l’époque et donc dans son cinéma. L’Allemagne en automne de Fassbinder a peut-être été le film le plus important pour moi sur ce projet, et ce dès la première écriture. Quand je l’ai vu, je l’ai trouvé admirable, mais je ne comprenais pas comment les cinéastes de ce film collectif pouvaient être si bouleversés par la mort de « terroristes » en prison. Aujourd’hui, par exemple, quand les terroristes des derniers attentats à Paris sont abattu par la police, on n’imagine mal que des cinéastes français se réunissent pour faire en trois mois un film qui à la fois serait aussi magnifique et porterait une tristesse comme celle de L’Allemagne en automne ! Vu d’aujourd’hui, et sans rien connaître de l’Allemagne de l’époque, ce film pose une vraie énigme.

Par exemple, je ne comprenais pas la discussion de Fassbinder avec sa mère. Pourrait-on s’engueuler ainsi aujourd’hui sur le concept de « démocratie » ? On pourrait presque voir Une jeunesse allemande comme une introduction à l’extrait de Fassbinder qui le clôt, une introduction permettant au spectateur contemporain de saisir toute la complexité de cette séquence.

 

Stéphane Gérard
le journal du cinéma du réel
mars 2015